HUMAN, Le double jeu de Yann Arthus-Bertrand


Quelques jours après voir vu le documentaire Human en 2015, j'avais découvert sans grande surprise que le photographe Yann Arthus-Bertrand, réalisateur du film (dont j'estime beaucoup le travail), avait encore été financé par des entreprises discutables. En tant que citoyen concerné par les problèmes du monde et photographe de métier, j'avais alors trouvé intéressant de s'interroger sur les contradictions morales rencontrées lors du financement d'un projet documentaire. Estimant que tous les initiateurs de ce genre de films ayant vocation à éveiller les consciences se devaient d'être le plus irréprochable et le plus pertinent possible, j'ai décidé aujourd'hui de partager ma réflexion personnelle sur le sujet. 

Peut-on se servir de l'argent de multinationales en grande partie responsable de la misère et des injustices pour financer un documentaire traitant de cette souffrance? N'est ce pas là hypocrite, démagogue et paradoxale? Qui doit financer et qui aurait pu financer un projet tel que Human, film avec un cout de 13 millions d'euros? Sachant que l'initiateur et le réalisateur de ce film est français, que "liberté, égalité, fraternité" est la devise de la République française et que la redevance audiovisuelle rapporte à l'Etat plus de 3 milliards d'euros chaque année, j'aurais spontanément répondu que c'était le devoir de l'Etat et de la télévision publique de financer un tel film (et je le pense encore). Le problème avec un financement de l'Etat c'est que quelque part on aurait pu faire à Yann-Arthus Bertrand exactement le même reproche qu'avec le mécénat de certaines multinationales. D'un point de vue éthique, le choix d'être financé par l'un ou par l'autre pour un documentaire comme celui-ci aurait été tout aussi discutable puisqu'aucun des deux entités n'est irréprochable. En plus d'être spoliateur des richesses de l'Afrique, l'Etat français est tout sauf pacifique et irréprochable. Il a notamment détruit la Libye (pays à l'IDH le plus élevé d'Afrique et l'un des rares pays du monde sans dette), a fait treize années de guerre en Afghanistan, il est actuellement en guerre au Mali et en Syrie et été encore il y a plus de deux ans, en guerre en Centrafrique. 

La fondation GoodPlanet dont Yann Arthus-Bertrand est le président a été fondée par le soutien de trois banques : BNP Paribas, Cortal Consors et la banque suisse Lombard Odier. L'Oréal, EDF et TF1 sont quant à eux les financeurs et des administrateurs importants de la fondation Nicolas Hulot qui nous dit-on est une association de défense de l'environnement. Comment peut-on prétendre défendre de manière crédible et honnête l'environnement lorsque siège au sein de votre fondation l'Oréal championne des pratiques de vivisection dans l’industrie des cosmétiques, EDF entreprise de pointe dans le nucléaire et TF1 qui appartient au groupe Bouygues qui tout comme Areva, Total, Lafarge et les multinationales étrangères (comme Glencore ou Nestlé) pillent les ressources minières, énergétiques et alimentaires de l'Afrique et même du monde entier? Comment Yann Arthus-Bertrand peut-il réussir à nous faire croire que sa fondation lutte réellement pour sauver l'environnement alors qu'elle travaille main dans la main avec la BNP Paribas. En clair, peut-on aller encore plus loin dans le double langage et le foutage de gueule? Pour couronner le tout, nous savons que des hommes politiques siègent au sein de ces fondations. Leur conseil d'administration est constitué pour un tiers de fondateurs, un tiers de membres du gouvernement et un tiers de personnalités qualifiées choisies par les fondateurs. Alain Juppé, qui continue à se féliciter de l'action militaire française en Libye (qui a littéralement détruit le pays), est par exemple le vice-président du conseil d'administration de Goodplanet. Alain Juppé qui je le rappelle était ministre des affaires étrangères français durant le génocide du Rwanda de 1994 qui en quatre mois a fait plus de 800 000 morts. Il est d'ailleurs aujourd'hui historiquement reconnu que le gouvernement français a délibérément soutenu financièrement et militairement de 1990 à 1994, le régime et les forces armées Hutus qui ont massacré les Tutsis. Pendant ces quatre années la France leur a livré notamment des armes, des munitions, des véhicules d'assaut ainsi que des instructeurs militaires. Le problème du double-jeux de Yann-Arthus Bertrand (par ses sources de financement) est exactement le même que celui de son ami de 30 ans, le grand photographe brésilien Sebastião Salgado.


J'admire beaucoup le parcours et le travail de Sebastião Salgado que j'ai pu voir en personne lors d'une conférence passionnante. J'ai d'ailleurs lu tous ses ouvrages et en possède plusieurs mais là n'est pas la question. Après l'abandon du soutien financier de la presse après quelques années, le projet photo de Salgado "Genesis" a entièrement été financé par la multinationale brésilienne Vale, deuxième groupe minier au monde qui est aussi l'un des plus grands opérateurs logistiques et énergétiques du Brésil. Vale est pourtant l'une des multinationales les plus polluantes du monde. En violation permanente du droit du travail, elle emploie notamment des milices paramilitaires pour contrer tous les syndicats. De 1997 à 2007, le groupe a récolté 56 amendes d’une valeur de 37 millions de reais, distribuées par Ibama, l’Institut brésilien de l’environnement ; amendes pour consommation de carbone provenant de la forêt native, incendies dans des aires de préservation environnementale, destruction de forêts permanentes… Instituto Terra, la fondation privée du couple Salgado, a également été financé par Vale dès sa création en 1998. La multinationale a par exemple fait don de 500 000 arbres de sa réserve naturelle pour la reforestation sur la ferme familiale de Salgado.

En 2012, le groupe minier a reçu au Brésil le "Public Eye Award" aussi connu comme le prix "Nobel de la honte" qui l'a désigné comme la "pire entreprise de la planète" en raison de sa responsabilité pour des dégâts environnementaux graves. Vale est également l'un des trois principaux responsables de la création du barrage de Belo Monte qui a causé le déplacement de 40 000 natives et la dévastation et la surexploitation de territoires encore sains de l'Amazonie. Tous ces faits montrent une contradiction indéniable et surprenante de la part de Sebastião Salgado qui semble être complètement aveugle vis à vis de son mécène.

La fin justifie-t-elle les moyens? 

Vu que l'argent est nécessaire pour entreprendre un documentaire esthétiquement et logistiquement ambitieux et que 99% de la richesse est détenue par les banques et les multinationales (dont certaines sont plus riches que des Etats), il y a de grandes chances pour que des réalisateurs et des photographes perdent en objectivité et en crédibilité en faisant appel à ces types de mécènes... Passé le problème flagrant de l'hypocrisie, opter pour un financement de son documentaire par des banques et des multinationales spoliatrices de richesses pose pour moi un deuxième problème bien plus grave que le premier. Opter pour ce genre de financement enlève selon moi la réelle indépendance de la réalisation qui au départ se voulait honnête et sans concession et qui du coup se retrouve instrumentalisée, enchainée car liée à tout un tas d'obligations et d'exigences de la part de ses donateurs. Pour toutes ces raisons dommageables pour la vérité, le documentaire survolera alors systématiquement les réelles causes de la misère voir de ne s'y intéressera pas du tout puisque cette dernière est causée en grande partie par les sponsors du projet que le réalisateur ne peut plus évidemment dénoncer et exposer, ce qui ne lui laissera plus qu'une marge de manoeuvre très réduite pour ne s'intéresser du coup qu'aux conséquences : "Oui il y a de la misère, où il y a des inégalités" montrons-le avec de jolies visages et de puissants témoignages sans jamais expliquer d'où vient cette misère et sans jamais apporter de solution pour y remédier. Les reportages comme Human ou Home ne peuvent concrètement s'intéresser au pourquoi de la misère et des inégalités puisque cette misère est grande majorité causée par ceux qui rendent leur film possible.

Pour le film Human, ce n'est pas exactement le message qui est terni, toute personne pourvue d'un minimum d'empathie ne peut trouver le film que magnifique et selon moi le message d'universalité, d'humanité, de compassion et au final de paix du documentaire reste intact. Personnellement toutes les oeuvres qui traitent des injustices et de la souffrance me touchent et je peux dire que Human m'a profondément bouleversé autant psychologiquement, visuellement que musicalement... Pourtant ce n'est parce qu'une oeuvre nous touche ou nous révolte que nous devons nous arrêter là. En tant que personnes sencées, matures et responsables nous devons aussi nous interroger sur les sources de la misère que le documentaire dépeint. Nous devons nous intéresser à la cause des causes de ces injustices sociales. C'est d'ailleurs normalement au film de répondre à ces questions.

La cause des causes est très simple dans notre cas, c'est le capitalisme fou, l'absence de contrôle des élites en recherche constante d'un pouvoir absolue et de richesses sans commune mesure. C'est aussi l'abrutissement du peuple et le type de sociétés individualistes et irresponsables dans lequel nous vivons. De la richesse des uns dépend exclusivement de la misère des autres. Victor Hugo lui disait : "C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches". Aujourd'hui c'est une triste réalité, les pauvres sont de plus en pauvres et les riches de plus en plus riches. Selon le rapport de l'ONG Oxfam les 1% des plus riches en 2016 posséderont plus de patrimoine que les 99% restants. Les 8 personnes les plus riches du monde possèdent autant que la moitié de la population mondiale et les 100 personnes les plus riches ont un revenu annuel qui pourrait permettre d'éradiquer quatre fois la pauvreté (selon l'Index des Millardaires de Bloomberg). Barbara Stocking, directeur-général d’Oxfam, ajouta en 2013 qu'au cours des vingt dernières années les personnes les plus aisées de la planète, qui représentent à peine 1% de la population mondiale, ont vu leurs revenus augmenter de 60% contre presque 300% pour le top 0,1% mondial (étude d'Olivier Berruyer). A l’inverse, les plus démunis tentent de survivre tant bien que mal avec moins d’un dollars et 15 cents par jour. Pourtant, jamais c'est soi-disant lanceurs d'alerte, maîtres-penseurs et avants-gardistes de l'environnement médiatisé tels que Yann-Arthus Bertrand n'osent mettre en cause les véritables fautifs, pire que cela ils leur demandent leur soutien financier.

On ne peut pas prétendre faire un film politique et se contenter de dire que "seule la décroissance sauvera la planète" et dans un même temps se faire financer par BNP Paribas comme le fait Yann Arthus-Bertrand qui ne semble pas se rendre compte de l'hypocrisie de la chose. Il est de plus tout à fait possible de faire ce genre de film sans se faire financer par ce type de mécène.  Comment ont fait Mélanie Laurent et Cyril Dion pour leur film "Demain" par exemple? Ont-ils demandé l'aide de multinationales ou de banques? Non, ils se sont tournés vers le financement participatif. Comment font les gens dans le cinéma?  Le réalisateur américain Darren Aronofsky fut l'un des pionniers de l'investissement participatif. Son film Pi (1998) fut entièrement financé de manière participative par des proches ou des gens de son entourage. Pour trouver les 60 000 dollars nécessaires à la réalisation du film, lui et son équipe sont allés voir toutes les personnes qu'ils connaissaient pour leur demander 100 dollars en leur promettant que si le film marchait, ils récupéreraient 150 dollars. Pari réussi, le film fut présenté au festival de Sundance en 1998 et Aronosky remporta le prix du meilleur réalisateur. Juste après, Artisan Entertaniment acheta les droits de diffusion du film pour un million de dollar. La même année, le film sortira en salle. Acclamé par la critique, il engendrera un total de 3 221 152 dollars au box office. Concernant les documentaires c'est la même chose et le financement nécessaire à leur réalisation est nettement moins important que pour un long métrage. Le documentaire Inocente sorti en 2012 fut financé de manière participative et il obtint en 2013 l'Oscar du meilleur court métrage, une première dans le cinéma.

Après il est tout à fait possible de se faire financer par ce type de mécènes corrompus mais dans ce cas là, il faut avoir ensuite la délicatesse de s'abstenir de se poser en donneur de leçon surtout lorsque tu sais pertinemment que les agissements personnels de tes financeurs causent la misère que tu dénonces et prétends combattre. A chaque fois que j'observe Yann Arthus-Bertrand parler sur les plateaux télévisés, prêcher tel un apôtre, une phrase de Rousseau me vient très vite en tête : "Etre et paraître, deux choses aussi différentes qu'agir et parler." Le travail de l'homme est estimable, l'homme semble respirer le calme, la bonté, la gentillesse et la sympathie mais je ne peux m'empêcher de noter qu'il recommande en permanence aux autres de faire des choses qu'il ne s'applique pas à lui-même. Il clame des vérités sur la place publique et fait ensuite l'inverse de ce qu'il prône. Il n'est donc visiblement pas très au fait des propos de Gandhi qui nous a appris qu'il fallait se changer soi-même avant de vouloir changer les autres. 

En 2010 par exemple, il fut invité à l'Hôtel de la Questure de l'Assemblée Nationale à l'occasion d'un buffet-débat organisé par Viande.info.


Au cours de cet évènement, on a pu l'entendre dire qu'il n'avait qu'une envie c'était de devenir végétarien, que les animaux faisaient parti de sa famille, que le non-respect pour l'animal était pour lui quelque chose d'insupportable. A cette occasion, il souligna très clairement le problème de la surconsommation, et dénonça à juste titre la condition de vie des animaux (comme si quelqu'un aujourd'hui pouvaient nier ses deux situations). Pourtant Yann Arthus-Bertrand est un mangeur de viande, s'il mange de la viande, il n'a pas à aller à la tribune dire que les animaux sont de sa famille et que c'est horrible de leur faire subir ce qu'on leur fait subir, où est sa la légitimité ici? Ne serait-il pas plus intéressant et constructif de donner la parole à des gens qui prônent ce message et qui pratiquent cette façon de penser dans leur quotidien? Oui il y a clairement un problème de surconsommation, oui il y a assurément une violence inouïe contre les animaux mais quel est l'intérêt d'établir ce constat déjà évident sans changer ses propres agissements? Quelle légitimité a-on lorsque l'on prône aux autres de faire quelque chose que l'on ne s'applique pas à soi-même? Accorderiez-vous du crédit à une personne adepte de la violence qui viendrait à longueur de journée vous parler de paix? Accepteriez-vous qu'une personne ne sachant pas aligner à l'écrit plus de deux ou trois mots dans un français correcte vous donne des leçons et se permette de critiquer votre orthographe? La stérilité de l'intervention d'Arthus-Bertrand atteint son paroxysme quand il conclue son intervention en disant : "Manger de la viande ce n'est pas forcément bon pour notre éthique et pour notre karma mais en même temps on en mange et il faut l'accepter". S'il accepte la chose, c'est finalement qu'au fond elle n'est pas pour lui si insupportable que ça...

Après aucune surprise ici, si les gens réellement sages étaient sur les plateaux de télévision ça se saurait. La vérité c'est que Yann Arthus-Bertrand est invité sur tous les médias car il est devenu un produit commercial, la parfaite marque de fabrique du moralisateur écologiste que les chaînes appellent quand elles veulent donner l'impression de s'intéresser aux problèmes écologiques. A part se faire de la publicité sur sa petite personne et sur ses films, les interventions et les actes de ce multimillionnaire ne respirent en rien la cohérence et un combat de fond. Comme disait si bien l'écrivain et journaliste Aurélien Scholl : "L'apparence est un rideau derrière lequel on peut faire tout ce que l'on veut, mais qu'il est essentiel de tirer".

Autre preuve de double discours et de conflit d'intérêt du photographe qui se prétend humaniste et écologiste : son soutien officiel à la candidature du Qatar pour le mondial de football de 2022 qui fut vivement critiqué. Le Qatar ce pays du golfe qui je le rappelle a la plus forte emprunte écologique par habitant du monde et où la main d'oeuvre pakistanaise, indienne, philippine et chinoise est surexploitée, payée un salaire de misère (200 euros par mois) et logée à la périphérie des grandes villes dans des conteneurs métalliques qui deviennent dans ces régions de véritables fours. Selon un nouveau rapport publié le 31 mars 2016 par l'organisation de défense des droits de l'Homme, la maltraitance des travailleurs sur les chantiers de la Coupe du monde de football au Qatar continue et s'avère complètement désastreuse... Logements sordides surpeuplés, non-versement ou paiements en retard des salaires, confiscation des passeports et interdiction de sortie du territoire… Selon Amnesty International, ces pratiques constitueraient même "une forme de travail forcé" aux termes du droit international". 

D'un point de vue écologique, organiser une Coupe de Monde dans ce pays désertique où il fait 36°degré à l'ombre et plus de 50° degré au soleil a tout autant de sens que de vouloir les jeux Olympiques d'hiver à Dubaï! A l'occasion de cet évènement qui n'est rien d'autre qu'une aberration environnementale, le Qatar va dépenser pas moins de 50 milliards d'euros notamment avec la construction d'un nouvel aéroport, d'un nouveau métro et pas moins de 12 stades climatisés.

Dans un communiqué du 10 décembre 2010 paru sur le site de sa fondation GoodPlanet, Arthus-Bertrand se justifia de son soutien par la soi-disant « neutralité carbone » visée par l'événement sportif. « L’énergie utilisée proviendra de panneaux photovoltaïques, les voyages en avion effectués par les spectateurs venus au Qatar seront compensés carbone, et la proximité des différents stades permettra de limiter les déplacements », assura le réalisateur du film Home et Human.

Sauf que si l’on fait un bilan carbone de l’investissement (matériaux de construction, consommations d’énergie pour le montage, le démontage, transport, remontage dans les pays d’accueil), on se rend compte très vite que l’utilisation du solaire pour la climatisation ne réduit que très marginalement l’énorme impact sur le climat de ce projet. Pris sous les feu des critiques, Arthus-Bertrand changea ensuite son fusil d'épaule (tu m'étonnes) et déclara : "Les accusations sont méritées dans le fond. J’avais été séduit par le projet qui faisait état de stades démontables et d’une compétition qui s’engageait à être neutre en dépense carbone. J’avais omis le fait que celle-ci se déroulerait en été et que cela impliquerait des stades climatisés. » (VSD n° 1739 de décembre 2010.) 

A-t-on réellement besoin de commenter ce genre d'explications vaseuses? Cet homme apporte son soutien à un pays pour la Coupe du Monde s'en savoir qu'elle allait se déroulait l'été? Depuis quand la Coupe du monde se déroule à une autre saison et depuis quand des joueurs de foot peuvent jouer à la balle sous 50° sans que cela nécessite de stades climatisés? Tous ces informations avaient d'ailleurs été annoncé par le Qatar lui-même! La vérité c'est qu'il a soutenu le Qatar car le pays lui a versé un million d'euros pour son film Home, point final!

Cette hypocrisie fut même soulignée en février 2011 par un rapport de l'Assemblée Nationale :

« Le climat local extrêmement défavorable contraindra à climatiser les infrastructures sportives. La facture énergétique de l’événement promet d’atteindre des montants considérables, bien que les finances qataries permettent d’investir en masse dans des sources renouvelables. Dans ce contexte, le soutien publiquement apporté par Yann Arthus-Bertrand à la candidature du Qatar étonne.  La rumeur répandue par la presse selon laquelle le Qatar comptait parmi les financeurs du film du photographe Home, toujours mis à disposition sur la plage d'accueil du site de Goodplanet, renforce les interogations et les risques de discrédit» 

Pour en revenir à ses documentaires, le véritable problème de Yann-Arthus-Bertand selon moi comme je le disais plus haut de manière succinte, c'est que de par ses connivences et ses mécénats éthiquement incompréhensible, son investigation journalistique qui au départ se veut cohérente et pertinente se retrouve de fait limitée et paradoxale. Son film Human ne se focalise que sur des conséquences de la misère. Le documentaire va dépeindre des situations tristes, bouleversantes, révoltantes mais n'abordera jamais la cause de ces injustices pour des raisons clairement partisanes liées à ses financeurs qu'il ne faut bien entendu pas mettre dans l'embarras. Il faut chercher la Cause des causes disait Hippocrate. Ici on ne s'intéresse absolument pas aux causes, encore moins à la Cause des causes, seulement aux conséquences. A ce titre le documentaire Human est tout sauf incisif ; émotionnellement et esthétiquement magnifique certes, mais intellectuellement pauvre, attendu, incomplet et orienté. 

C'est d'ailleurs la même chose pour d'autres documentaires, tant que les réalisateurs ne verront aucune contradiction à financer leur projet humanitaire ou environnemental par les industriels qui sont directement responsables de ces désastres, que les reportages sur la misère seront financés par les créateurs de cette misère, les documentaires si beaux et si touchants soient-ils ne resteront que des constats de ce que l'on sait déjà... "La misère ce n'est pas bien. La misère c'est triste. Il y a des pauvres, il y a des riches. Il y a des injustices. La planète est belle et les êtres humains sont au fond tous les mêmes etc..." Ces documentaires ne resteront que des constats parce qu'ils n'effleurent que la surface. Pourquoi n'effleurent-ils que la surface? Parce qu'ils n'ont pas l'honnêteté et le courage d'exposer au grand jour les véritables causes de cette misère sachant que cette misère provient justement des personnes rendant possible leur reportage... C'est le serpent qui se mort la queue. Selon moi, il n'y a qu'en s'affranchissement totalement des ces entités donc en refusant leur soutien financier (qui n'est rien d'autre pour eux qu'un moyen de contrôle ou un moyen de redorer leur image) qu'on pourra être amené à une véritable critique et à proposer de véritables solutions à cette crise écologique, économique et sociale.

Après j'ai bien conscience que le film ne s'appelle pas "Les dessous de la misère" ou "L'oligarchie mondiale", son titre est "Human" et dans ce sens et uniquement ce sens, il remplit l'essentiel. L'être humain y est dépeint avec ses travers et ses qualités, sa sagesse et sa bêtise, ses joies et ses peines (surtout ses peines). Le documentaire met l'accent sur la beauté humaine plus exactement sur la diversité que l'on peut trouver trouver de part le globe, le tout ponctué de sublimes scènes de nature filmées depuis le ciel. Dans ce qu'il nous donne à voir ce film prône pour moi l'essentiel de ce qui compte ici bas, à savoir la richesse de la différence, le pardon, la tolérance et la paix ; il montre qu'il y a des hommes bons dans tous les "camps", que nous sommes au fond tous les mêmes et que nous sommes tous profondément connectés puisque nous vivons sur la même planète ; planète sublime qui se trouve être la plus grande des oeuvres d'art connue. Durant plus de trois heures nous sommes touchés voir stupéfaits par les récits des personnes qui témoignent et qui dévoilent leur vie face caméra. La scène d'ouverture avec Leonard Scovens m'a bouleversé et reste pour moi la scène la plus marquante du film.

J'ai également eu un grand plaisir à ce que les français puissent enfin découvrir sur nos écrans José Mujica, alias 'Pepe' qui fut président de l'Uruguay de 2010 à 2015, un grand homme que j'admirais déjà comme bon nombres de dirigeants d'Amérique du sud. C'est également un documentaire qui s'interroge sur l'amour, le bonheur, la spiritualité, un hommage magnifique porté sur l'humanité et notre condition, le tout ponctué de scènes de nature grandiose et de musiques touchant le coeur ; musiques composées par le grand Armand Amar, le meilleur ami de Yann. Etant photographe portraitiste, j'ai particulièrement été touché par les visages, les regards, les sourires, les pleurs, toutes les émotions poignantes des personnes interrogées. Ce documentaire montre exactement les raisons pour lesquelles j'ai choisi de me diriger vers le portrait : aller à la rencontre de gens ; leur faire sentir qu'ils sont importants, que leur existence a de la valeur et qu'on est à la fois tous unique et tous les mêmes.


Pour avoir un documentaire véritablement complet en revanche, il faudrait réaliser son opposé que l'on appelerait "Inhuman" avec les interviews de tous les dirigeants politiques passés et présents, les services de renseignements, les assassins économiques, les banques privées, les lobbies, les multinationales, les spéculateurs financiers, le Front Monétaire International (FMI), l'Organisme Mondial du Commerce (OMC), la Banque Mondiale, la Commission Européenne, l'ONU qui n'empêche aucune guerre et ne sert strictement à rien vu que sa charte est violée en permanence et que certains vétos de membres permanents sont purement et simplement ignorés. Il faudrait interviewer tous les psychopathes qui peuplent la plupart de ses administrations et qui ne désirent que pouvoir et richesse. Tous ces non-humains sans état d'âme qui ne se préoccupent de personne et qui décident des guerres sur un claquement de doigt. Bien entendu un tel projet ne verra jamais le jour puisque cela supposerait premièrement, que ces gens décident de se révéler publiquement et deuxièmement qu'ils puissent faire preuve d'honnêteté. Nous sommes donc ici en plein fantasme. Un minimum d'honnêteté de leur part relayé à l'échelle mondiale risquerait plus de déboucher sur une véritable insurrection, ce qu'ils ne souhaitent évidemment pas.

En somme le "pourquoi" de Human n'est pas condamnable, le "résultat" n'est pas condamnable, c'est même tout le contraire, le "comment" avec le financement en revanche est profondément questionnable, ambigu et la crédibilité de son auteur une fois de plus remise en cause. Pour Yann Arthus-Bertrand la fin justifie clairement les moyens et c'est son choix, c'est son film après tout. On peut tout de même le remercier lui et toutes les équipes derrière pour ce beau projet. Il est important également de remercier les milliers de personnes qui ont bien voulu témoigner devant la caméra et nous ont fait partager leur vie l'espace d'un instant.

Avoir aimé le documentaire, avoir été bouleversé même (cela dépendra des personnalités) et être reconnaissant pour ses images et ses témoignages ne signifie pas pour autant comme je le disais précédemment que nous ne devons pas nous interroger et le remettre en cause. Tout être humain moralement et intellectuellement constitué se doit de remettre les documentaires qu'on lui présente dans le contexte du monde dans lequel il vit et souligner les points d'ombre si jamais il y en a. Il est indéniable ici que la démarche du réalisateur aurait gagné en force et en honnêteté si son documentaire avait pu être financé sans des multinationales ou des banques profondément impliquées dans ce désastre mondial...

J'aimerais tout de même ajouter une note d'optimisme en disant que nous ne pouvons et ne devons pas résumer un projet social et militant à ses seules sources de financement. Si on débloque par exemple demain de "l'argent sale" confisqué provenant du trafic de drogues et que l'on s'en sert pour réaliser un documentaire sur le trafic de drogues et ses conséquences, cela n'enlèvera rien aux vérités que le documentaire pourra souligner. Si de l'argent provenant de multinationales véreuses et spoliatrices de richesses permet de temps à autres d'ouvrir des orphelinats, des hôpitaux ou et des refuges, devrait-on refuser cet argent? Je ne pense pas. Ces entreprises existent et causent la misère et des injustices, pourquoi ne pas utiliser leur argent pour faire quelque chose de bien? Même si j'ai plutôt tendance au tout ou rien, que je suis quelqu'un d'assez intolérant à l'hypocrisie et au double langage, j'ai conscience que le monde n'est pas tout noir ou tout blanc. L'argent en soi n'est ni bon ni mauvais, c'est ce que nous allons faire avec qui va déterminer la moralité de nos intentions. Quand une entreprise gagne autant d'argent en s'accaparant des richesses qui ne lui appartient pas, qu'elle exploite et appauvrie les habitants de plusieurs pays et qu'elle épuise l'environnement, elle agit de manière immorale et égoïste. Pourtant, la personne qui reçoit de l'argent d'une entreprise immorale n'est pas forcément immorale. Si cette personne se sert de l'argent de ces grands groupes irresponsables pour faire de belles choses en réveillant les consciences et en portant un message universel de compassion et de tolérance, de paix et de fraternité, je pense que cela vaut le coup de se "salir" un peu et de compromettre son intégrité pour permettre à l'oeuvre d'exister.

Gardez à l'esprit pour finir que la réalité bien plus vaste et complexe que la situation que je viens de décrire et que ce système pervers nous englobe tous. Yann Arthus-Bertrand ne m'a servi ici que d'exemple pour mener une réflexion bien plus large sur l'hypocrisie et sur le double discours paradoxal à utiliser des sponsors contestables. Nous sommes pourtant en réalité tous concernés. Ces photographes dont l'attitude et la cohérence choquent une fois la nature de leur sponsors mis en lumière ne sont quelque part que le miroir de nos propres vies et de nos actions quotidiennes. Yann Arthus-Bertrand a pris certes l'argent du Qatar ou la BNP Paribas, société sans éthique qui va par exemple financer des projets qui vont détruire la barrière de corail, financer des mines de charbon, des pipelines ou des barrages qui détruiront la faune et la flore, empoisonneront des tribus ou délogeront des populations mais sommes-nous éthique en ayant un compte chez BNP Paris, la société Générale ou le Crédit Agricole? Sommes-nous si différent de lui? Etes-vous dans l'éthique en achetant du Giorgio Armani, du Yves Saint Laurent, du Guy Laroche ou du Lancôme, ces marques appartenant toute au groupe L'Oréal? Etes-vous cohérent et dans l'éthique en achetant du Coca-Cola, en achetant Nestlé? Quelle est la différence au fond? L'écrivain français André Gide disait : "C'est souvent lorsqu'elle est le plus désagréable à entendre qu'une vérité est le plus utile à dire." La vérité désagréable à entendre ici mais utile à dire c'est que nous sommes comme Yann Arthur-Bertrand au final, hypocrite et dans l'incohérence... Nous ne pouvons pas alimenter un feu en lui jetant de l'huile et en même temps nous plaindre de la vivacité des flammes. De la même façon, je ne pense pas que nous puissions donner notre argent à des banques ou consommer des produits des multinationales qui contribuent à détruire le monde et dans un même temps stigmatiser lorsque d'autres personnes les utilisent comme sponsors. Nous avons la même responsabilité et comme lui nous avons le pouvoir de refuser de les utiliser. A partir du moment où nous avons pris connaissance de l'immoralité des agissement de ces entités et que nous continuons à les alimenter, nous ne sommes en rien différent de Yann Arthus-Bertrand, c'est comme avec le feu, l'huile et les flammes, nous sommes dans le même cercle d'hypocrisie puisque nos actions quotidiennes vont leur permettre d'exister. Nous perdons alors notre droit de nous plaindre et de critiquer. La seule chose digne et cohérente à faire si nous souhaitons sincèrement que les choses s'améliorent est d'agir de manière responsable et réfléchie.

"Etre et paraître, deux choses aussi différentes qu'agir et parler." 


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